Hai’zan les rejoignit.
- Il s’appelait Zansoa.
- vous le connaissiez ? Interrogea Verti.
- Oui. Il venait d’un petit village des Grisonnes. Il est tombé sous la coupe d’un groupe d’assassin qui détroussait et exécutait les voyageurs et marchands. Mais leur sauvagerie toujours croissante ne correspondait pas à sa nature. Il s’est enfui. Pour ses anciens camarades, cela équivalait à une trahison punie de mort. Nous l’avons caché dans ce monastère…ou personnes n’auraient jamais songé à le chercher. La sérénité de cet endroit devait lui permettre de guérir…du moins je l’espérais. Maintenant il lui faudra chercher son propre chemin vers la paix.
- Je suis désolé.
Au-dessus de leurs têtes, un nouveau craquement retentit.
Tous levèrent les yeux.
Le mage désigna un escalier étroit et abrupt, à côté du rideau cachant le temple. Personne ne l’avait vu. A vrai dire, il s’agissait plus d’une échelle que d’un escalier.
- J’y vais, annonça Hai’zan.
- Il vaut mieux rester groupés, répliqua Thobrak.. Mais demandez à notre ami de ne pas tirer sur tout ce qui bouge.
Le guerrier estima qu’il lui revenait de monter en premier. Ce qu’il fit, scrutant son entourage immédiat avant de commencer à monter à l’échelle. Il leur fit signe de la main de le suivre. Ils découvrirent une salle vide. Plusieurs coussins minces étaient empilés dans un coin. Cette pièce sentait la résine et l’encens.
Le troll braquait son arme sur une porte à l’autre bout de la pièce. Une lumière vacillante filtrait sous le battant.
Soudain, une ombre traversa la barre lumineuse.
Il y avait quelqu’un la derrière.
Hai’zan s’avança et frappa à la porte.
Le craquement cessa aussitôt.
Le mage lança un appel. Personne ne comprit ces paroles à la différence de l’occupant des lieux. On souleva un loquet. La battant s’entrouvrit. A peine.
Le mage posa sa pomme sur le bois. A ses côtés, le guerrier en faisait autant avec son espingole, repoussant lentement la porte avec le canon de son arme.
Nalicia avait sortit ces dagues. Thobrak se tenait prêt à intervenir. Sstevee était resté légèrement en arrière. Il n’était pas fait pour le corps à corps.
Les deux trolls poussèrent complètement le battant. La pièce était à peine plus grande qu ‘un placard. Une paillasse souillée s’étalait dans un coin. Une petite table supportait une lampe à huile. L’air était chargé de relents d’urine et de selles qui montaient d’un pot sans couvercle placé au pied du lit. La personne qui se trouvait là ne s’était pas aventurée à l’extérieur depuis plusieurs jours.
Un vieux troll debout face au mur leur tourné le dos. Il portait une robe rouge déchirée et maculée. Il en avait noué les plis inférieurs autour de ses cuisses, exposant ses jambes maigres et nues. Il travaillait à un projet, écrivant sur la cloison. Peignant plutôt.
Avec son propre sang.
La démence, encore.
Il tenait une petite dague. De profondes coupures sillonnaient ses jambes, la source de son encre. Il n’avait pas interrompu sa tâche, malgré l’intervention d’Hai’zan.
- Khemsar, dit celui-ci
Le groupe entra derrière lui. Verti dit au guerrier de rester en retrait. Il voulait éviter de répéter le drame qui s’était joué au rez-de-chaussée.
L’homme pivota vers eux. Son visage était flasque, ses yeux vitreux et légèrement laiteux, mais la lueur de la chandelle s’y reflétait avec éclat. Trop d’éclat.
- Hai’zan, murmura le vieux moine, contemplant avec hébétude les centaines de lignes d’inscriptions sur les quatre murs.
Un doigt ensanglanté se leva, prêt à reprendre son travail.
Hai’zan s’avança vers lui, visiblement soulagé. Le troll n’était pas encore totalement aliéné. Il pourrait peut-être leur apporter des réponses. Le mage s’adressa à lui dans leur langue maternelle.
Khemsar hocha la tête, refusant cependant d’abandonner son ouvrage sanglant. Sstevee, le plus versé dans les écritures anciennes examina les murs tandis qu’Hai’zan poursuivait son homologue. Le reste du groupe se tenait sur ses gardes. Bien qu’il ne connaisse pas cette écriture, le démoniste ne tarda pas à comprendre qu’il s’agissait du même groupe de symboles indéfiniment répétés.
Devinant l’importance de leur signification, il sortit un parchemin et une plume de son sac, et se mit à recopier, avec le plus grand soin les symboles qui dansaient à la lumière de la petite lampe à huile.
Le crissement de la plume sur le vélin attira l’attention du vieux troll. Soudain, il poussa un cri. Khemsar proféra quelques mots déformés par une peur irrationnelle, avant de se trancher la gorge. Une ligne écarlate traversa son cou avant de se transformer en geyser. La lame sectionna la trachée. Des bulles roses gargouillèrent tandis que le moine rendait son dernier soupir. Par réflexe, Verti et Thobrak se mirent à psalmodier leurs sorts de guérison, mais le temps d’incantation était trop long. Ils le savaient déjà. Le troll venait de se condamner.
- Je suis désolé, murmura Sstevee. Je…
Il montra les murs autour d’eux.
- J’ai pensé que ces signes devaient être importants.
Hai’zan secoua la tête.
- Ils ne veulent rien dire. Les délires d’un fou.
Thobrak s’était penché sur le corps, essayant d’identifier un quelconque signe d’infection. Ses doigts palpaient le mort. Soudain, arrêtant ces mouvements, il sentit une boursouflure étrange sous ses doigts. Une sorte de cicatrice marquant le corps du défunt. Délicatement, il découvrit le torse du mort.
Nalicia baissa les yeux et retint sa respiration.
Les murs ne constituaient apparemment pas le seul support sur lequel Khemsar avait décidé de travailler. Un symbole avait été gravé sur sa poitrine, ciselé par la même dague, probablement de la même main.
Ce fut alors que la première explosion ébranla le temple.
9h55
Il se réveilla, paniqué.
Le coup de tonnerre l’arracha aux ténèbres fiévreuses. Pas le tonnerre. Une explosion. Des gravats tombèrent du plafond. Il s’assit, désorienté, essayant de se ressituer dans le temps et dans l’espace. La chambre tournoyait légèrement autour de lui. Il tâtonna, rejetant une couverture souillée. Il gisait sur une étrange paillasse, ne portant rien d’autre qu’un pagne. Il leva un bras et réalisa qu’il tremblait. La bouche pâteuse, ses yeux le faisaient souffrir malgré les volets qui assombrissaient la pièce. Un immense frisson le parcourut.
Il n’avait pas la moindre idée de l’endroit où il se trouvait.
Dégageant ses jambes de la paillasse, il tenta de se lever. Mauvaise idée. Le monde replongea dans le noir. Il s’écroula et aurait sombré de nouveau dans l’inconscience sans le bruit des coups de feu. Des fusils. Proche.
Il refit une tentative, plus déterminé cette fois. La mémoire lui revint tandis qu’il chancelait vers l’unique porte. Il s’écroula contre le battant, se maintenant debout à la force des bras, puis tourna le loquet.
Verrouillé.
9h57
- C’était le zeppelin, lança Hai’zan.
Le groupe se tenait de l’autre côté de la haute fenêtre. Quelques secondes auparavant, quand les derniers échos de l’explosion s’étaient tus, ils avaient ouvert les volets. Le guerrier croyant avoir aperçu quelque chose dans la cour s’était mis à tirer.
Personne n’avait répliqué.
- Ou le pilote suggéra Verti. Il y a peut-être eu un problème avec le moteur.
Le guerrier gardait son poste à la fenêtre, la crosse de son espingole appuyée sur l’encadrement, un œil dans son viseur, fouillant la cour.
Hai’zan montra la colonne de fumée s’élevant du champ de navet, ou le zeppelin s’était posé.
- Je ne crois pas que cela soit dû à un incident mécanique. Il faut partir.
Un autre moine fou avait-il fait sauter l’appareil ? Dans ce cas, combien d’autres déments rodaient encore dans le monastère ? Que diable s’était-il passé ici ?
- Partir ? S’enquit le druide. Pour aller ou ?
- Il y a des villages et quelques fermes à moins d’un jour de marche.
- Et les autres moines insista Thobrak Certains ne sont peut-être pas aussi gravement atteints. Nous devrions tenter de les aider.
- Vous avez vu autour de vous ? Je ne crois pas qu’il reste de survivants dans le coin. De plus nous devons prévenir la Lame d’Ebène de ce qui c’est passé ici.
- Et les prévenir de quoi continua le druide sur un ton de plus en plus énervé. Vous ne savez même pas ce qui se trame dans ce monastère. De plus, imaginons que nous sommes contaminés par quoi que ce soit. Nous pourrions répandre ce fléau. Le monde n’a pas besoin de ça ! Finit-il par hurler.
- Thobrak à raison intervint Verti. Il vaut mieux rester ici pour le moment.
Le moine secoua la tête en signe de négation.
- Le zeppelin détruit nous n’avons plus de moyens de transport. Les montures volantes ne tiendront pas longtemps à une telle altitude et nous risquons en plus de nous faire tirer comme des lapins. Si nous restons, nous mourrons nous aussi…et le monde extérieur ne sera jamais ce qui s’est déroulé ici.
- Il a malheureusement raison. La phrase de Sstevee était tombé comme un couperet. Froide. Ne laissant aucune place à la discutions. Ceux qui on commis cela peuvent recommencer n’importe ou dans le monde et personne ne sera en mesure de faire face à cette maladie. Il faut prévenir le monde extérieur. Nous réduirons nos contacts avec les autres au minimum tant que nous n’en saurons pas d’avantage sur cette maladie poursuivit-il. Nous appellerons à l’aide, tout en restant à bonne distance. Nous devons courir ce risque.
Verti contempla la colonne de fumée noire qui montait dans le ciel bleu. Il n’y avait aucun moyen de savoir combien de personnes au juste avaient été touchées ici. Mais si cette explosion avait été provoquée par l’une d’entre elles….Oui, il valait mieux fuir, et vite.
- Partons ! Lança-t-il.